samedi 27 septembre 2008

LA MALICE DU TEMPS

Si l'intelligence est saine...

Si l'on fait attention à la malice du temps où nous vivons, si l'on embrasse, par la pensée, l'état des choses tant publiques que privées, on le découvrira sans peine : la cause des maux qui nous accablent, comme de ceux qui nous menacent, consiste en ce que des opinions erronées sur les choses divines et humaines se sont peu à peu insinuées des écoles des philosophes, d'où jadis elles sortirent, dans tous les rangs de la société, et sont arrivées à se faire accepter d'un très grand nombre d'esprits. Comme, en effet, il est naturel à l'homme de prendre pour guide de ses actes sa propre raison, il arrive que les défaillances de l'esprit entraînent facilement celles de la volonté ; et c'est ainsi que la fausseté des opinions, qui ont leur siège dans l'intelligence, influe sur les actions humaines et les vicie. Au contraire, si l'intelligence est saine et fermement appuyée sur des principes vrais et solides, elle sera, pour la société comme pour les particuliers, la source de grands avantages, d'innombrables bienfaits.
Sans doute, nous n'accordons pas à la philosophie humaine assez de force et d'autorité pour la juger capable, par elle seule, de repousser ou de détruire absolument toutes les erreurs. De même, en effet, que lors du premier établissement de la religion chrétienne, ce fut l'admirable lumière de la foi, répandue non par les paroles persuasives de l'humaine sagesse, mais par la manifestation de l'esprit et de la force [1], qui reconstitua le monde dans sa dignité première; de même, dans les temps présents, c'est, avant tout, de la vertu toute puissante et du secours de Dieu que nous devons attendre le retour des esprits, arrachés enfin aux ténèbres de l'erreur. Mais nous ne devons ni mépriser, ni négliger les secours naturels mis à la portée des hommes par un bienfait de la divine sagesse, laquelle dispose tout avec force et suavité ; et, de tous ces secours, le plus puissant, sans contredit, est l'usage bien réglé de la philosophie. Ce n'est pas vainement que Dieu a fait luire dans l'esprit humain la lumière de la raison ; et tant s'en faut que la lumière surajoutée de la foi éteigne ou amortisse la vigueur de l'intelligence ; au contraire, elle la perfectionne, et, en augmentant ses forces, la rend propre à de plus hautes spéculations.
Il est donc tout à fait dans l'ordre de la divine Providence que, pour rappeler les peuples à la foi et au salut, on recherche aussi le concours de la science humaine: procédé sage et louable, dont les pères de l’Église les plus illustres ont fait un usage fréquent, ainsi que l'attestent les monuments de l'antiquité. Ces mêmes Pères, en effet, assignèrent communément à la raison un rôle non moins actif qu'important, et saint Augustin le résume tout entier en quatre mots, lorsqu'il attribue à la science humaine ce par quoi la foi salutaire est engendrée, nourrie, défendue, fortifiée[2].

Léon XIII : Lettre Encyclique, Aeterni Patris ; 4 août 1879

[1] I Cor. II, 4.
[2] S. AUGUSTIN, De Trinit. lib. XIV. c. 1.

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